Test de Vampyr

Sujet largement abandonné au profit du lobby ô combien puissant des zombies, les légendes vampiriques se voient arpenter une nouvelle vie. 3 ans après son annonce, voici donc que le nouveau Dontnod (en français : « n’acquiesce pas », ou alternativement : « ne pique pas du nez ») pointe le bout de ses dents pour un entretien avec un vampire. L’idée est donc ici de savoir si cet entretien est le pendant vidéoludique du chef d’œuvre de Neil Jordan ou plutôt celui, moins flamboyant, de Twilight. Réponse dans ce test de Vampyr, testé à partir d’un code PS4 fourni par l’éditeur.

Des Reid, il y en a beaucoup

Plongé dans les abysses d’un XXème siècle londonien, le joueur contrôle Jonathan Reid, un savant médecin / chirurgien, fraîchement de retour de France, après un service long et ténu dans les tranchées de l’Hexagone. Malheureusement, votre comité d’accueil n’est autre que la grippe espagnole, qui plante ses horribles crocs au nez et à la barbe de milliers de londoniens exsangues. Ah, on a failli oublier : la scène d’intro vous apprend également que vous êtes un vampire. Oui, un vampire. C’est-à-dire que pour survivre, vous devez sucer le sang de pauvres citoyens affaiblis, alors même que votre première fonction est de les sauver. Vous voyez un peu l’ironie ?

L’énorme problème, c’est que le jeune vampire et l’averti chirurgien ne connaissent en rien les raisons de cette conversion. Ainsi, la quête de Jonathan, qui est aussi par la même la vôtre, est de dépuceler un mystère aussi tenace qu’étrangement gardé : Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Qui est votre géniteur ? Et surtout : Da fuck is that ? Bien nommée soit votre profession, puisqu’au gré des rencontres que vous faites, vous trouvez une âme charitable qui vous emmène direct à l’hôpital Pembroke, afin que vous puissiez enfin comprendre l’imbroglio qui vous a amené au rez-de-chaussée de l’Enfer.

Dans Vampyr, la grippe espagnole a un triple usage : elle permet premièrement de densifier une intrigue au demeurant déjà assez ferme, mais, et c’est bien plus important, elle justifie la totale absence de vie dans les rues de la perfide Albion. Autant le dire de suite : si vous attendez de Vampyr qu’il soit bien plus attrayant qu’agréable, vous vous mettez les crocs dans l’œil. Boulevards vides, expressions des personnages désertes, maisons inoccupées, profondeur de champ inexistante à cause du tristement célèbre brouillard cache-misère… La grippe espagnole a bon dos, et justifie une technique faiblarde et très souvent aux fraises. Notre vampire lui aussi a bon dos. Etant donné que sa nature ne lui permet pas d’arpenter les rues de Londres en tee-shirt col en V avec l’assistance d’une crème solaire indice 8000, le joueur doit se contenter des rues nocturnes d’un Londres semi-ouvert, qui n’incite ni à l’exploration, ni à la découverte.

Sang pour sang

Mais, comme tout un chacun, tout bon vampire se doit de se reposer. Le lit, puisque Dontnod a eu l’intelligence de nous épargner le cliché du cercueil entrouvert, est le théâtre de vos améliorations. C’est ici alors, que le gameplay prend tout son sens et que Vampyr exhibe éhontément ses meilleures qualités et sa plus belle ironie. En tout bon RPG qui se respecte, Vampyr se barde d’une composante dialogue très prononcée. Pas question en revanche de les passer, en bon joueur impatient que vous êtes, car ce sont ces dialogues entre les PNJ et vous-même qui, peu à peu, font le sel de la narration. 

Jonathan Reid, en bon vampire, se doit de sucer le sang de ses victimes. Cette cause ne dessert pas seulement sa nature, mais participe à l’évolution globale du personnage. Plus vous sucez de sang, plus vos points d’XP augmentent, plus vous pouvez faire évoluer votre vampire. Au-delà de cela, la qualité du sang de votre future victime est altérée par les différentes pathologies qui se propagent dans Londres : fatigue, rhume, toux etc. Ainsi, pour profiter au mieux de vos futures victimes, il est conseillé de les soigner AVANT de les tuer. Comble de l’ironie et du sarcasme, les studios français livrent ici une petite pépite amère qui fera rire les plus coincés d’entre vous.

Attention cependant, vous ne pouvez pas tuer n’importe qui, n’importe quand. Vous devez charmer vos victimes avant de pouvoir les mener dans un petit coin sombre et … les sucer. Vous pouvez donc potentiellement tuer TOUS les PNJ que vous rencontrez, si et seulement si, leur tolérance à votre charme est inférieure ou égale à votre niveau de charme. Les abus sont donc finalement presque impossibles et le jeu a une fâcheuse tendance à vous remettre dans le droit chemin si vous osez vous en éloigner. Le système de charme est dépendant de vos progrès dans la trame scénaristique principale. Impossible alors de s’échapper de l’intrigue et de se conduire en vrai vampire. En revanche, vous pouvez vous conduire en vrai humain : il est possible de finir le jeu sans avoir tuer un seul civil, mais bonne chance, car votre XP sera finalement très faible, d’autant plus qu’échapper aux combats s’avère très compliqué.

Crocs blancs

En tout bon RPG qui se respecte, Vampyr possède un système de combat basé sur l’attaque et sur la défense. Notre vampire a donc une jauge de vie dépendante de son niveau global, mais surtout une barre d’endurance, ainsi qu’une barre de sang. Pas la peine de revenir sur la jauge d’endurance ou sur la barre de vie, qui relèvent toutes deux des classiques du RPG.

En revanche, cette barre de sang intrigue et n’en finira pas d’intriguer. Finalement similaire a une jauge de mana, ce sang que vous prélevez de vos ennemis, soit à coup de pieux (touche triangle) soit en leur suçant directement le cou, sert à asséner des coups spéciaux (à faire évoluer) que vous déclenchez grâce aux gâchettes de la manette. Ce sang que vous prélevez sert aussi à vous guérir, dans l’éventualité d’un combat disputé ou votre jauge de vie se fait la malle. L’énorme problème, c’est que ces schémas de combat entraînent alors le joueur dans des combinaisons de touche qu’aucun ennemi n’arrive à diversifier. Esquive, coup, coup spécial. Rond, carré, R1, L1. Rond, carré, R1, L1. Tout au long du jeu, ce schéma de combat, à quelques exceptions près se révèle gagnant, et fait ainsi des combats de vampyr, de vulgaire lutte sans intérêt. Pourtant, la diversité dans les armes aurait pu faire découler une certaine diversité dans les altercations, mais force est de constater que ce n’est pas le cas. Qu’on parle d’armes à distance ; de pieu, de lance, de gourdin ou autres, le joueur a vite fait le tour d’un système de combat entaché par une monotonie aigüe. Si l’on ajoute à cela un système de lock qui fait vriller la caméra, alors les combats de ce vampyr vous feront en effet trembler, mais pas pour les bonnes raisons.

Entretien avec un vampire

L’autre pendant narratif de Vampyr est son extrême flexibilité dans la gestion des choix. Ainsi, en votre qualité de docteur de renommée internationale, vous avez la possibilité de parler à une soixantaine de PNJ, tout en décidant de leur sort. Il vous faut alors bien peser les pour et les contre, car, dans ce jeu, un mort reste un mort et ne réapparaitra pas. Si vous avez tué un PNJ qui vous a donné une quête annexe, n’espérez pas le revoir 20 secondes après, comme réapparu sous les coups du bon Dieu des jeux vidéo. La quête annexe est aussi morte que le personnage qui la portait. 

Mais n’allez pas penser que vous pouvez tuer à toute berzingue et que vos choix n’auront pas de conséquence. C’est bien connu dans le jeu vidéo, tous les choix ont des conséquences et le joueur se doit de les assumer tout autant que de peser le pour et le contre.  

D’où la nécessité de mener une enquête pas approfondie du tout sur les liens qui unissent chaque citoyen, afin de démêler le vrai du faux, le bien du mal. Le gros problème, c’est que les mécaniques d’enquête sont sommaires et, à dire vrai, elles ne présentent aucun intérêt de gameplay.  Fantastique : vous avez compris que le personnage X a joué à touche pipi avec le personnage Y. Et ? C’est tout. Rien d’autre, l’affaire est bouclée. A vous alors de décider si vous allez tuer l’un d’entre eux, les deux, ou aucun d’entre eux.

Cependant, pas sûr que ce choix n’aboutissent à des conséquences différentes pour l’environnement qui vous entoure.
Ainsi, un peu à la manière d’un Dishonored, l’état du quartier dans lequel vous évoluez dépend de vos actions sur les PNJ.  Plus vous en tuez, plus le jeu devient facile ( c’est en tout cas ce qui est annoncé dans un des nombreux temps de chargement), mais surtout , plus le quartier augmente en niveau de salubrité, avec pour conséquence majeure : l’augmentation des prix des marchands d’arme et de ressources.

Autant vous dire que vous n’en avez rien à faire : Si, en tant que joueur, la seule conséquence à vos choix se trouve dans le prix de tel ou de tel article chez un marchand d’armes, croyez-moi que la masse d’XP qui se présente sous la forme d’un citoyen au sang frais vous apparaitra beaucoup plus bénéfique que d’avoir un pistolet à 30 shillings au lieu de 40.

Remember me

Spécialiste des capitales européennes remaniées, Dontnod avait étonnamment réussi le pari de transformer Paris en capitale futuriste dans « Remember me ». Dans Vampyr, c’est Londres qui se retrouve remanié à la sauce Dontnod et les développeurs français sont passés maîtres dans la création d’une ambiance cohérente et déliceusement gothique.

Attention, on a tous connu cette gamine bizarre assise dans le fond de la classe, au maquillage noirâtre coulant qui écoutait Evanescence, tout en sirotant une boisson noire qu’elle appelait « le jus du diable ». Ce n’est pas tellement de ce gothique là qu’on parle. On parle d’un gothique architectural, d’une ambiance qui happe le joueur sans jamais le lâcher. Sale, aqueuse, épaisse, résonnante. Dans les rues du Londres de Dontnod, on imagine aisément qu’un certain Jack l’Eventreur a sévi, on imagine la détresse, la peur, la mort.

Que l’apparente vétusté et le vide béant ne vous induisent pas en erreur. Ce Londres fourmille de passages secrets, d’égouts dégueulasses à parcourir, de cachettes innombrables à fouiller. Transcendé par des musiques de cathédrales, au chœur puissant et dramatique, Vampyr  parvient sans aucun mal à agripper le joueur pour ne le laisser partir qu’une vingtaine d’heures plus tard, groggy, comme s’il avait été vidé de son sang.

Acquiescer ? Non. Piquer du nez ? Non plus.

La réponse se trouve en fait en plein milieu de cette aventure dodelinante, dont les ronronnements tantôt agacent, tantôt enthousiasment. On reconnait alors à Dontnod la maîtrise qu’on lui connaissait à l’époque de « Remember me » : une incroyable propension à façonner une ambiance, à la créer de bout en bout, pour ne jamais laisser le joueur s’échapper d’un Londres qui pullule de  détails et de fourmillements. En revanche, les errances d’un système de combat archaïque, et la rigidité de ses trames d’évolution ne font pas de Vampyr un RPG inébranlable.

Par contre,  certains joueurs en manque d’histoires délicieusement gothiques se laisseront charmer sans sourciller par l’épopée de Jonathan Reid, par son ironie so british, et par ses moments de fulgurance étonnants de maîtrise et d’abnégation. Les autres sortiront indemne de cet entretien avec un vampire, ce qui est finalement une bien meilleure conclusion que les légendes vampiriques auraient elles-mêmes laissé croire

Verdict : 13 / 20

  • Sadako

    Journaliste gaming et high-tech depuis 2009, je suis "Vanlifer" depuis 2021, dans mon camping-car équipé pour travailler sur les routes tout comme pour profiter de bons moments de détente !

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