The Last of Us : de la naissance du projet il y a 10 ans à sa commercialisation, « le pouvoir de l'échec »

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, par Christopher Anciaux (Chris)

Si vous n'avez pas encore joué à The Last of Us, que vous ne l'avez pas terminé, et que vous souhaitez découvrir l'aventure par vous-même, nous vous conseillons de garder cette page, pour la lire quand cela sera fait. Mais pour l'instant, évitez de lire celle-ci, au risque de découvrir l'aventure de The Last of Us dans sa majeure partie. Si vous faites partie des joueurs ayant complètement retourné The Last of Us, et que celui-ci vous a plu, vous allez certainement apprécier cette petite lecture à propos du dernier jeu de Naughty Dog. En effet, c'est Neil Druckmann, il y a quelques jours, qui s'est exprimé à propos de The Last of Us et de la façon dont il a été créé. De l'idée originale à l'idée finale, Neil nous dit tout !

The Last of Us, un projet réfléchi par Neil Druckmann depuis 2004...

Et oui ! The Last of Us, ou son idée originale en tout cas, est réfléchi depuis maintenant un peu moins de dix ans. Quand Neil Druckmann était encore étudiant à l'université Carnegie-Mellon de Pittsburgh, ce dernier a participé à un projet en groupe. L'un des professeurs de Neil était ami avec George Romero, considéré comme le père des films de zombies modernes. Et le but du projet était de créer un concept de jeu vidéo qui serait alors transmis à George Romero, qui devait choisir le meilleur concept, afin que l'équipe vainqueure en crée un premier prototype.

John Hartigan, une source d'inspiration pour Neil Druckmann.Le projet de Neil Druckmann, qui devait donc se démontrer comme étant le plus intéressant, par rapport à celui de ses concurrents, mettait en vedette le gameplay d'Ico (connu sur PlayStation 2), un personnage principal semblable à John Hartigan de Sin City, et tout ça durant une apocalypse de zombies, comme celle de Romero dans Night of The Living Dead. En fait, le scénario était surtout centré sur un policier ayant comme difficile tâche, durant cette apocalypse, de veiller sur une jeune fille (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?), alors que le monde est envahi de zombies !

Dans le projet de Neil Druckmann, figure déjà une chose oubliée, ou plutôt retirée, du jeu final, The Last of Us. En effet, dans l'idée, le policier chargé de protéger la fille devait souffrir d'une maladie cardiaque. Et lorsque cette maladie en question agirait, le rôle protecteur / protégé aurait été inversé. L'idée n'a pas totalement été oubliée, en fait. Dans un passage, souvenez-vous si vous avez terminé The Last of Us, il est question de contrôler Ellie car Joël est incapable de se défendre, suite à une chute lors d'un combat rapproché avec un ennemi.

Mais revenons-en au projet de Neil Druckmann. Nous disions donc que le scénario était surtout centré sur un policier et sur une fille que ce dernier devait protéger. Eh bien sachez tout simplement que le projet de Druckmann a été abandonné, Romero ayant choisi un autre projet : « L'idée de ces personnages a été mise de côté », a précisé Druckmann. Ce n'est pour Neil Druckmann qu'un premier échec, parmi tant d'autres, avant la création du projet qu'est The Last of Us...

 

 

« Existe-t-il une autre façon de parler des personnages ? »

Après ce premier échec, Neil Druckmann rejoint le prestigieux studio qu'est Naughty Dog, en tant que programmeur. Débute alors à ce moment une seconde réflexion à propos de son idée qu'est, mais il ne le sait pas encore à ce moment, The Last of Us. Il se demande alors : « Existe-t-il une autre façon de parler des personnages ? ». A partir de là, la réponse pour lui, est une bande dessinée, nommée The Turning.

Les personnages, et surtout le policier, deviennent alors quelque peu différents. Le policier change de camp, pour devenir un criminel ayant perdu sa fille (comme Joël, tiens !). Par la suite, ce criminel rencontre alors une jeune fille, dont il deviendra le protecteur. « Il essayait surtout de mettre cette fille en sécurité », affirme Druckmann. A la fin de The Turning, c'est surtout la jeune fille qui devait sauver le criminel, après sa capture par des anciens collègues du grand banditisme.

L'idée, plus ou moins bonne, vous en jugerez, n'a pas été retenue par l'éditeur auquel Neil a proposé son idée : « Je l'aime, mais je ne l'aime pas », affirmait l'éditeur en question. Ce fut un second échec pour Neil Druckmann.

Et si Ellie, de The Last of Us, avait été muette ?

Alors qu'il essuie un nouvel échec, Druckmann est toujours bel et bien présent au sein des studios de Naughty Dog, où il a travaillé à la conception des deux premiers opus d'Uncharted, qui reçoivent alors une très bonne critique, et qui deviennent rapidement des succès commerciaux. Mais alors qu'il essuie ce second échec, Neil parle ensuite de son projet à un de ses collègues au sein du studio de Naughty Dog, Bruce Straley, qui n'est autre que le réalisateur d'Uncharted 2. Neil et Bruce parlent souvent du projet lors de différents dîners ou à d'autres moments, et ils s'échangent alors leurs idées à propos du projet en question, qu'est maintenant The Last of Us.

Neil, à ce stade, pensait garder l'idée des rôles inversés protecteur / protégé. Mais une autre idée lui est parvenue. Celle de faire naître un personnage muet, qui ne serait autre que la protégée du protecteur (le policier / criminel). La protégée aurait donc été amenée à travailler de concert avec le joueur, et le joueur à travailler de concert avec la protégée. L'idée principale était que toutes les communications de la petite fille se fassent par ses agissements pendant le jeu : « L'idée était que tout ce qui se passe entre le joueur et la fille était totalement basé sur la mécanique de jeu. », affirme Neil Druckmann. Mais ce n'est peut-être pas l'élément le plus important, à ce stade de la réflexion.

Naughty Dog a dit non à Mankind, l'ancêtre de The Last of Us !

En effet, en même temps qu'ils s'échangent leurs idées, Neil et Bruce se passionnent pour le Cordyceps, un virus qui infecte les fourmis, les araignées, et agit sur ces derniers (en plus, ça existe vraiment !)... Et comme vous le savez si vous avez joué à The Last of Us, ce virus est celui qui donne vie aux Infectés du jeu, tels que nous les connaissons aujourd'hui. Le projet, rassemblant les rôles protecteur / protégé inversés à un certain moment de l'aventure et le Cordyceps (qui, à ce stade de la réflexion par Neil et Bruce, n'infectait que les femmes), a été une première fois émis à Naughty Dog, avec comme nom Mankind (Humanité en français).

Dans Mankind, la seule personne et la seule femme immunisée par le virus était Ellie, et Joël décida alors de la protéger et de l'emmener à un laboratoire, où un remède pourrait être créé. C'est là une idée très proche de celle de The Last of Us. Mais le projet fut refusé par Naughty Dog, surtout par les femmes au sein du studio, qui jugeaient le projet comme étant misogyne : « La raison pour laquelle il a échoué, c'est parce que c'était une idée misogyne », explique Neil Druckmann.

 

 

 

La naissance du The Last of Us que nous connaissons est proche...

Malgré avoir essuyé un nouvel échec, celui du refus de Mankind par Naughty Dog, Neil Druckmann ne baisse pas les bras et modifiera une nouvelle fois son projet. Celui-ci est alors accepté par Naughty Dog. Mais les échecs sont toujours là. Comme les précédentes versions de l'histoire, celle retenue par Naughty Dog fait l'objet de nouvelles modifications, car le scénario, à ce moment, « n'était pas crédible », selon Neil Druckmann. Le principal problème était Joël. A ce moment du développement, il montrait ses instincts maternels envers Ellie bien trop rapidement. Car comme vous l'avez sans doute remarqué, dans The Last of Us, Joël ne s'attache pas Ellie très facilement, et encore moins rapidement.

Cette affection arrive progressivement dans l'aventure, à tel point qu'elle pourrait nous sembler naturelle. Mais là n'était pas le seul problème du scénario. La fin en était également un. A ce stade du développement, l'idée était que Joël devait, à la fin du jeu, se trouvait ligoté, torturé, avec un couteau à la gorge. Ellie devait alors le sauver, en tuant une autre personne. Mais l'idée a été abandonnée pour laisser place à la fin de The Last of Us que nous connaissons, car la fin imaginée à ce moment par Druckmann ne collait pas avec les personnages.

Les échecs ? Toute une philosophie pour Naughty Dog et ses développeurs !

Alors que les échecs s'enchaînent pour Neil Druckmann, il croit dur comme fer pouvoir voir, un jour, son bébé naître. D'ailleurs, Neil Druckmann a souhaité donner son avis sur les échecs auxquels lui-même et son studio ont dû faire face : « Il y a quelque chose sur la façon dont nous considérons les échecs, à Naughty Dog. Nous les considérons comme quelque chose de positif, mais seulement s'ils vous permettent d'apprendre quelque chose », a avoué Neil Druckmann. « L'idée, c'est d'échouer autant que vous le devez, mais seulement au début, parce-que tous ces échecs vont ensuite vous conduire à de meilleures réponses. Si nous avions continué dans cette voie [initiale], le jeu aurait été moins profond. », a-t-il ajouté.

La fin abandonnée, il faut en trouver une autre ! Et c'est ainsi qu'est conçue la fin de The Last of Us, telle que nous la connaissons dans le jeu final. Ce n'est peut-être pas la fin que tout le monde souhaitait voir ou que tout le monde attendait, mais c'est celle qui a été choisie ! Honnêtement, elle n'est pas si mal que ça, non ? Justement, Neil Druckmann a souhaité parler de celle-ci. Il explique alors que cette fin a été conçue pour que le joueur se pose des questions, et pour que celle-ci soit interprétrée de façon différente pour chaque joueur.

Que va faire Ellie ensuite ? A-t-elle vraiment cru Joël lorsqu'il a lui a menti sur le fait qu'il n'y avait pas d'antidote réalisable ? Neil Druckmann a ses propres idées sur ce sujet. « Ellie, pour la première fois, prendra conscience [du mensonge de Joël], et se rendra compte qu'elle ne peut plus compter sur lui », nous explique Neil Druckmann. Il ajoutera à propos d'Ellie qu'« elle saura alors qu'elle doit se séparer de lui, prendre ses propres décisions, et commettre ses propres erreurs. ». Pour Druckmann, ce n'était pas un accident de faire d'Ellie un personnage profond et mûr.

The Last of Us, c'est aussi l'envie de créer un jeu avec une femme "non-sexualisée"...

Pour conclure, Neil Druckmann a souhaité parler de son objectif, et de l'objectif de Naughty Dog : créer un personnage féminin qui n'aurait pas que pour seules qualités ses attraits : « Je voulais créer l'un des plus cools - et non-sexualisé - des personnages féminins du jeu vidéo. Et je sentais que si nous faisions cela, il y avait une chance, une opportunité, de changer l'industrie. Je sais que c'est prétentieux, mais c'était mon but. » Il a ensuite conclu :  « The Last of Us est sorti il y a seulement quelques mois mais je suis vraiment heureux de l'impact qu'il a eu jusqu'à maintenant. ».

Allez, une petite session de The Last of Us, ça vous tente ?