Mes lecteurs et abonnés les plus anciens, et ceux qui me connaissent le mieux savent à quel point Shenmue est une licence qui compte à mes yeux. A l’approche des fêtes de fin d’année, je relance d’ailleurs toujours au moins une fois le premier opus de la série, sur Dreamcast, pour partir à la chasse au père Noël et jouer, le temps d’un live, sous les flocons de Dobuita et Yamanose. Cette période propice à la nostalgie « Shenmuesque » me motive d’ailleurs à écrire ce nouvel édito, où je vous exprime mon sentiment envers la saga de Yu Suzuki et SEGA (qui détient toujours les droits), et d’une cicatrice qui ne se refermera jamais vraiment.
Shenmue – L’histoire d’une frustration sans fin
Le désert entre Shenmue II et Shenmue 3
S’il y a bien une catégorie de joueurs et de joueuses qui mériterait la médaille d’or de la patience et de la résilience, c’est bien ceux et celles qui ont attendu inlassablement l’annonce de Shenmue 3. Rendez-vous compte, Shenmue II est sorti le 6 septembre 2001 au Japon, et le 30 novembre 2001 en France, tandis que Shenmue 3 est disponible depuis le 19 novembre 2019. Dix huit ans.
18 ans durant lesquels nous sommes passés par toutes les émotions. De « Shenmue 3 sortira sur Dreamcast 2 quand SEGA se sera refait une santé » à mille rumeurs sur la mise en chantier de cette suite, il aura finalement fallu attendre le « magic showcase » de PlayStation en juin 2015 où Yu Suzuki est venu achever une conférence mythique, composée de diverses arlésiennes que plus personne n’attendait (Final Fantasy Versus XIII qui se transformait en Final Fantasy XV, le retour de The Last Guardian et la résurrection de Shenmue 3).
C’est simple, et très certainement la même chose pour vous qui me lisez, nous avons eu le temps de construire notre vie d’adulte entre la sortie de Shenmue 2 et celle de Shenmue 3. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu une suite directe s’établir avec autant d’années d’écart dans le jeu vidéo.
La fin d’une époque pour SEGA
Aborder le thème de Shenmue, Shenmue II et Shenmue III, c’est également repenser à une époque différente du gaming. Très différente, même. Une période où Nintendo, SEGA et Sony se tiraient la bourre et qui voyait émerger l’arrivée d’un nouveau concurrent, Xbox. Ce sera d’ailleurs la seule génération de consoles (les 128-Bits) qui aura vu, de manière éphémère certes, quatre constructeurs majeurs tenter d’imposer leur vision du gaming.
La triste fin de SEGA en tant que constructeur a été vécue comme un immense séïsme dans l’industrie des jeux vidéo, avec le retrait d’un fabricant historique, et de toutes sa maîtrise des gameplay typés arcade. Il est d’ailleurs vraiment frustrant de ne jamais avoir pu voir l’envolée de la Dreamcast qui en avait sous le capot, la console ayant été foudroyée en milieu de sa vie commerciale, en 2001.
A cette époque, SEGA commençait d’ailleurs tout doucement à s’orienter vers des jeux moins arcade. Tout du moins, l’ex-constructeur tentait des concepts plus variés à côté de ses Virtua Tennis, Space Channel 5, Crazy Taxi et autres SEGA Rally et compagnie. Shenmue était un projet ultra ambitieux pour l’époque, en étant même resté le jeu vidéo le plus cher de l’histoire pendant une très longue période.
Fort heureusement, la maison mère du hérisson bleu est toujours vivante en 2022, et nous propose des licences très charismatiques. En étant passé par des phases de moins bien, SEGA semble vraiment bien géré aujourd’hui, avec des projets toujours aussi ambitieux et des dirigeants qui trouvent la bonne voie. Sonic Frontiers n’est pas exempt de défauts, mais on sent vraiment que l’éditeur souhaite se surpasser en trouvant des idées novatrices.
Shenmue 3 – Une persuasion de « sorti trop tard »
Beaucoup trop tard, même. Ce qui faisait la magie Shenmue à l’époque ? Pouvoir se balader librement dans ce monde « ouvert » où l’on pouvait interagir avec énormément de personnages et d’objets, acheter des items dans les boutiques, vivre le premier cycle jour / nuit vraiment vivant dans un jeu vidéo, les saisons aussi, et tant d’autres ingrédients qui ont fait le succès de la série.
Pouvoir rentrer dans la plupart des bâtiments de Shenmue 2, chose qu’aucun open-world ne propose encore en 2022. Admirer des graphismes jusque là jamais vu. Même les PC les plus puissants pouvaient aller se cacher à l’époque où les constructeurs designaient eux-même leurs propres architectures. En bref, une formule qui a énormément vieilli aujourd’hui pour les deux premiers opus, mais qui étaient révolutionnaires à bien des égards en 2000 et en 2001.
Il était bien entendu absolument impossible pour Yu Suzuki (producteur de la série) de refaire le même coup en 2019, surtout avec un budget réduit aux dons des joueurs et des joueuses sur Kickstarter, et quelques levées de fonds à droite à gauche.
C’est d’ailleurs là où la frustration de Shenmue 3 est toujours immense, avec une cicatrice qui ne se refermera jamais. Quelle cicatrice ? Celle de ne pas avoir pu profiter de ce concept révolutionnaire en 2002 ou 2003, voire 2005 au plus tard, sur Dreamcast. Si le jeu était sorti à ce moment là, les mécaniques de jeu auraient toujours été aussi « fraîches », et surtout, Yu Suzuki aurait pu continuer à profiter du financement direct de SEGA.
Avec un petit budget et 18 années de chomage technique, le retour de Shenmue a donc déçu pas mal de joueurs. D’ailleurs, il y a une chose que je ne comprends toujours pas. Faire Shenmue 3 a été une sorte de miracle qui ne se présente pas deux fois dans une vie. Alors pourquoi Yu Suzuki s’est obstiné à continuer l’aventure telle qu’elle était prévue en 2000 (en plusieurs jeux) sans la conclure une bonne fois pour toutes ? Après une fin de Shenmue 2 restée en stase pendant 18 ans, nous revoilà exactement au même point qu’en 2001.
Que peut-on espérer de Shenmue 4 ?
Avec Shenmue 3, le passage d’une licence AAA à une sorte de jeu indépendant a fait beaucoup de mal à la renommée de la série. Mémorable en aucun point, cette suite tardive a fait plaisir aux fans de Shenmue, mais a fait plus de mal que de bien à la saga, finalement. En n’apportant strictement rien à l’intrigue qui piétinne sur elle-même pendant des heures et des heures, ce n’est que la fin de l’aventure qui réveille un scénario moribond de part en part pour nous laisser sur une nouvelle frustration.
Trois ans après la sortie de Shenmue 3, nous n’avons d’ailleurs aucune information concrète sur Shenmue 4. Existe-t-il vraiment ? Yu Suzuki est-il à la recherche de financements ? Un nouveau Kickstarter sera-t-il proposé ? Le développement a-t-il continué après la fin du chantier Shenmue 3 ? Aux dernières nouvelles, si 110 Industries (éditeur de Shenmue 3) a fait un teasing qui rappelle Kowloon sur Instagram, Yu Suzuki affirmait il y a quelques mois de cela qu’aucun projet n’était en cours concernant Shenmue.
En bref, et même si Shenmue IV il y a dans quelques années, vous aurez bien compris que le mal est déjà fait pour cette série qui a manqué le coche au début des années 2000 pour devenir une licence complète et mythique. Pourtant, je considère que Shenmue et Shenmue II sont toujours des chefs d’oeuvre à qui il manque le fin mot de l’histoire, en représentant une époque révolue. Bien entendu, si un nouvel opus est annoncé, j’en serais le premier ravi et le savourererais en dépit des défauts de Shenmue 3, mais soyons honnêtes, il faut faire le deuil de ce qu’aurait du / pu être la série dans son intégralité.